La Veillée au Coin du Feu
Cette terre close et préservée, a façonné des êtres d’une seule pièce, indomptables,
Irréductibles, pétris de fierté, mais si humains, si proche de cette nature incroyable,
Ces hommes et ces femmes catalysent l’essence de ces villages stoïciens,
Pays dur où nos ancêtres ont plus connu la misère que le pain quotidien.
Le repas terminé, l’ancien vérifiait qu’il ne restait plus de soupe dans le pot,
S’il restait une louchée, il la servait dans son assiette et il faisait chabrot,
Dans l’assiette-calotte, il versait du vin rouge qu’il avalait d’une seule lampée,
Puis chacun regagnait sa place au coin du feu pour la veillée.
Jépou était un sage où dans son regard se lisait la sérénité des gens heureux,
Avec son visage ridé, tanné par le soleil, empreint de douceur mais vigoureux,
Humble parmi les humbles il rayonnait, lui qui n’avait jamais quitté son village,
Un nid de pierres grises, sur un faux-plat boisé et une pincée d’ardoises hors d’âge.
Le temps momentanément arrêté coulait à nouveau quand Jépou égrenait ses souvenirs,
Sous les tripous suspendus à la poutre, imprégnés de la fumée de la cheminée,
Orphelin de père il dut attraper la faux et se colleter à la terre sans autre avenir,
De l’aube à la nuit le travail dévorait tout, l’argent servait à acheter, le sucre et le tabac le café.
Avant les grosses chaleurs, les hommes dessinaient des andains dans les hautes graminées,
Ils s’arrêtaient à intervalles réguliers pour redonner du mordant au fil de la lame,
L’herbe, une fois séchée, en gros fagots, sur le dos était charriée,
Puis entassée dans les granges disséminées sur le flanc de la montagne, sans âme.
Mais la grande passion du Jépou c’était la chasse apprise avec le grand-père, très tôt,
Pour fabriquer des collets posés sur les branches d’un sorbier, pièges à grives,
Jeune paysan il montait vers les crêtes, tirait le lièvre et traquait les perdreaux,
Dans les bois, il guettait le coq de bruyère où surprenait le sanglier à la dérive.
Quand les vaches ont quitté l’étable, Jépou apprit le travail du bois pour s’amuser,
Dans le buis ou l’aubépine, le noyer ou le pommier, il sculpta des petits objets
Puis il descendait à la ville placer sa production pour les amateurs avertis,
Feutre du grand-père piqué d’une plume de geai, roulant toujours son tabac gris.
Avec ses amis l'hiver, il chantait ou bavardait, les femmes filant la laine ou tricotant,
Il jouait aux cartes ou contait quelques galéjades sur les gens,
Tout en se partageant un morceau de millas avec du vin chaud dans la joie,
Dans le cantou la flamme faisait chanter les notes sur les crépitements du bois.
Et les soirs où il n’était pas content le Jépou, après les Milodiou dé milodiou,
et les Macarel de macarel il lançait à la cantonade :
qué se nanen caga a la bigno, picha al soulhel, é qué nous tournen la claou
é le paraplèjo, n'aben bésoun abèï....toumbou calcarés !
Qu’ils s’en aillent caguer à la vigne, pisser au soleil et qu’ils nous ramènent la clé et le
parapluie, on en a besoin aujourd’hui, il tombe des cailloux !
Guy l’ARIÉ…..JOIE