Page 65 - Oeuvre de Guy Pujol - Avril 2020
P. 65

C’est le « figuier des ruines » qui règne aujourd’hui en

                                                          maître à Angkor. Au-dessus des palais, au-dessus des
                                                         temples qu’il a patiemment désagrégés, partout il déploie
                                                        en triomphe son pâle branchage lisse, aux mouchetures de
                                                         serpent, et son large dôme de feuilles. Il n’était d’abord

                                                       qu’une petite graine, semée par le vent sur une frise ou au
                                                            sommet d’une tour. Mais, dès qu’il a pu germer, ses
                                                           racines, comme des filaments ténus, se sont insinuées
                                                        entre les pierres pour descendre, descendre, guidées par

                                                         un instinct sûr, vers le sol, et, quand enfin elles se sont
                                                            gonflées de suc nourricier, jusqu’à devenir énormes,
                                                         disjoignant, déséquilibrant tout, ouvrant du haut en bas
                                                                  les épaisses murailles ; alors, sans recours,

                                                                                   l’édifice a été perdu.
                                                                                                                          Pierre Loti
   60   61   62   63   64   65   66   67   68   69   70